Le pélerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle

Historique

 

 

 

 

Vers l’an 830, une étoile révéla le tombeau de l’apôtre Jacques aux confins du monde. Depuis, les foules n’ont cessé de s’ébranler vers ce " Champ de l’étoile " - Compostelle - aussi nombreuses que les astres de la Voie lactée qui tracent, dans le ciel, le ruban du chemin de Saint-Jacques. Contre le froid, la faim, les brigands et les loups, les pèlerins n’avaient souvent que leur foi pour refuge. Au bout de cette longue marche, le salut les attendait dans cette Jérusalem mystique. Aujourd’hui encore, la même ferveur les guide.

Qui était saint Jacques?

Jacques était l’un des douze apôtres de Jésus, frère de Jean l’Evangéliste, fils de Zébédée. Ils réparaient leurs filets au bord de la mer de Galilée quand Jésus les appela (Matthieu 4 - 21). Abandonnant père et filets, ils le suivirent aussitôt. Jacques fut toujours présent dans les moments importants de la vie de Jésus : il fut parmi les trois apôtres auxquels Il révéla sa gloire divine, mais aussi ses doutes avant de mourir. Il se trouvait également avec lui lors de son arrestation.

Après la mort de Jésus, les apôtres partent dans toutes les directions afin de porter la Bonne Nouvelle par toute la terre. L’Espagne est attribuée à Jacques, qui débarque en Andalousie, traverse la péninsule ibérique par une voie romaine et aboutit en Galice où il y fait des disciples. Sans doute deux d’entre eux, Théodose et Athanase, l’accompagnent dans son retour à Jérusalem puisque, après son martyre (il est décapité sur ordre d’Hérode Agrippa vers 41/44, lors des premières grandes persécutions contre les communautés chrétiennes), ils dérobent dans la nuit son corps et l’embarquent. Un ange conduit leur navire jusqu’aux côtes galiciennes et ils inhument l’apôtre au port d’Ira Flavia, devenue aujourd’hui Padron.

Il est difficile de démêler le légendaire de l’historique. Si Jacques est bien allé en Espagne (beaucoup d’historiens en doutent, mais le doute est leur métier...), il faudra attendre quatre siècles avant que saint Jérôme ne parle de cette évangélisation. Aux deux siècles suivants, le voyage de Jacques est clairement affirmé par d’autres auteurs et par toute la littérature mozarabe. Mais, sous le seul angle historique, la probabilité reste en effet fort mince. Le croyant reste libre de croire.

Réel ou mythique, voilà donc le voyage de Jacques et il n’est pas surprenant qu’après avoir prêché dans le désert de l’Espagne intérieure, il ait eut plus de succès en Galice, empreinte de mysticisme celte.

Et puis, le tombeau a été abandonné et, avec le temps, la mémoire collective avait même fini par oublier son emplacement. Pas complètement cependant, puisqu’au VIIè siècle, un moine irlandais, saint Aldelhem, en parle. Au VIIIè siècle, dans les Commentaires de l’Apocalypse, de l’espagnol Beatus de Liébana, on trouve déjà cette idée que saint Jacques doit défendre les chrétiens contre les musulmans.

Et voici, qu’en l’an 813 (en tout cas avant 829), est annoncée la découverte des sépultures de l’apôtre et de ses disciples à Compostelle, dont le nom même est lié à cette découverte : Campus stella, le Champ de l’Etoile selon la tradition. L’ermite Pélage, instruit par un songe, aurait identifié l’endroit grâce à des lueurs dans la nuit. L’évêque d’Ira Flavia, Téodomiro, accourt aussitôt, fait dégager les tombeaux, et la nouvelle fait l’effet d’un coup de tonnerre dans la chrétienté.

De l’opportunité de la découverte du tombeau de l’apôtre.

A la fin du VIIIè siècle et au début du IXè, la situation dans la péninsule ibérique est loin d’être paisible. La mise au jour de la tombe coïncide avec une histoire et une époque turbulentes, des guerres incessantes où les royaumes chrétiens et musulmans luttent sans trêve. Les royaumes chrétiens tentent de reprendre leurs territoires et leurs biens face à la domination musulmane. Peu de temps après sa découverte, saint Jacques apparaît aux côtés des chrétiens à la bataille de Clavijo en 844. Sous l’aspect d’un cavalier éblouissant, il charge les Maures. Cette apparition fait de lui le patron de la lutte contre les infidèles et est à l’origine de son surnom, le " Matamore " (le tueur de Maures).

Les circonstances ont suscité la création d’une image de saint Jacques protecteur de l’Espagne chrétienne, chef spirituel de la Reconquête. La dévotion est également liée à la passion que le Moyen-Age connaît pour les reliques et pour bien comprendre cette soif de reliques, il faut savoir que pour l’esprit médiéval, elles sont un véritable talisman. Les reliques mettent le croyant en contact presque matériel avec le surnaturel.

Après l’annonce de cette découverte, le roi Alphonse II fait élever une église dont les dimensions sont conditionnées par le mausolée qu’elle intègre. A la fin du IXè siècle, elle est remplacée par une nouvelle construction, plus grande et de meilleure qualité, sous le règne d’Alphonse III. Le culte grandissant et l’accroissement démographique ont amené à construire ce nouvel édifice, consacré en 899. En 997, la basilique est détruite lors du raid d’Al-Mansour, de même que les autres édifices de Compostelle, mais elle est reconstruite immédiatement.

Au XIè siècle, un pouvoir fort est établi dans l’Espagne du nord par le roi de Navarre qui amorce une grande politique destinée à faire entrer l’Espagne dans le clan européen. Cette politique d’intégration a pour effet une transformation des édifices qui doivent s’adapter aux nouvelles nécessités d’un culte en pleine expansion. La construction de la cathédrale romane, que nous pouvons voir actuellement, débute en 1075.

Le pèlerinage en lui même.

Dans le monde chrétien, le voyage vers les lieux saints ou vers des lieux où des " saints " ont vécu est connu depuis l’Antiquité, et l’on sait qu’il s’accompagne aussi, et peut-être surtout, d’une attente d’exaucements et d’interventions miraculeuses de puissances supérieures dans des affaires terrestres et matérielles.

Le pèlerinage, d’une part, le culte des saints et sa traduction concrète dans des reliques, d’autre part, sont là choses distinctes.

Les pèlerinages de pénitents du Moyen Age vers des lieux éloignés où se trouvent des tombeaux d’apôtres ou de saints succèdent au pèlerinage vers les lieux saints et entrent en concurrence avec eux. Le véritable pèlerinage tel que nous nous le représentons aujourd’hui n’a connu sa pleine expansion que vers les XIIè-XIIIè siècles. C’est alors seulement qu’a eu lieu la caractérisation de Jérusalem, Rome et Saint-Jacques-de-Compostelle. A en juger d’après le nombre des pèlerins et la diversité des couches sociales, c’est le tombeau de saint Jacques à Compostelle qui est à la première place des buts de pèlerinage à cette époque ; étant entendu que le voyage vers Compostelle se faisait souvent par compensation pour les nombreuses croisades manquées.

Plus tard, à partir du XIVè siècle environ, et surtout dans l’Europe du Nord-Ouest, le pèlerinage devint partie intégrante de sanctions punitives, ce qui conduisit à son utilisation massive dans le droit profane, comme voyage d’expiation.

D’un point de vue plus général, tous ceux qui ont parcouru le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle sont naturellement des pèlerins, pour faire pénitence, pour satisfaire un voeu, pour racheter des fautes ou obtenir une guérison, pour eux-mêmes ou pour quelqu’un d’autre.

Le départ pour le pèlerinage donnait lieu à une bénédiction particulière par le prêtre de la paroisse du pèlerin ou du groupe de pèlerins, par la remise du baton, appelé bourdon, et de la gourde. Le pèlerin pouvait accrocher à son chapeau ou à sa cape la coquille saint Jacques ramenée par un pèlerin déjà revenu du pèlerinage.

Dès la découverte des reliques de saint Jacques, le succès du pèlerinage est foudroyant, l’image du " saint chevalier " attire tout d’abord les milieux aristocratiques, puis les classes sociales se diversifient très rapidement. Les pèlerins commencent à venir de France à partir du Xè siècle. Ceci s’explique par les échanges constants entre les deux pays, les alliances princières ainsi que l’assistance guerrière accordée par la France aux chrétiens espagnols. Les religieux de France participent aussi à la réforme de l’Eglise espagnole.

Tous ceux qui se pressaient vers les lieux de pèlerinage au Moyen Age représentaient tous les états sociaux, des rois et des princes aux mendiants et aux vagabonds. Les XIIIè, XIVè et XVè siècles constituent la période de splendeur, les années saintes attirant encore plus de pèlerins car les indulgences accordées alors sont plus nombreuses.

Au XVè siècle, ce succès se trouve confronté aux critiques de plus en plus acerbes et le doute s’installe dans les esprits. Ce lent processus de scepticisme va culminer dans la seconde moitié du XVIè siècle avec le protestantisme et les guerres de Religion.

La querelle des indulgences préluda à la réforme luthérienne suite à l’indulgence promulguée par le pape Léon X en 1515 pour ceux qui versaient des aumônes destinées à l’achèvement de Saint-Pierre-de-Rome.

La Renaissance va ouvrir une période d’éclipse pour le pèlerinage, suivie d’une alternance de développement et de crise qui durera jusqu’au XIXè siècle

Le pèlerinage médiéval était un phénomène de masse. Les sources de l’époque citent des chiffres sur les gigantesques rassemblements de pèlerins dans les grands centres occidentaux. Les chroniqueurs parlent de l’afflux de plusieurs milliers de pèlerins en un seul jour, ce qui représentait souvent plus que la population vivant habituellement sur les lieux de pèlerinage.

Les considérables problèmes de circulation, d’alimentation et d’hébergement qui en découlaient nous sont connus par l’énumération de centaines de faits consignés dans des documents et des compte-rendus. Ainsi ont été conservés, entre autres, de nombreux contrats conclus au Moyen Age entre des confédérations de bateliers pour organiser le transport depuis le lac de Constance jusqu’au Rhin inférieur de tous ceux qui se rendaient à Aix.

Tout ou presque a été créé sur le chemin. Pour permettre le voyage, il fallut aménager les routes et les gués, construire des ponts et des " hospitots ". Et puis des chapelles, des églises, des basiliques, des abbatiales.

La ville " Puente la Reina " tire son nom du pont que fit bâtir au XIè siècle une souveraine charitable. Santo Domingo de la Calzada est le nom donné au moine Domingo qui a passé sa vie à aménager des chemins pour que les pèlerins circulent plus facilement.

Les lieux de pèlerinage vont être à l’origine de tout un mouvement littéraire puisque l’on voit se multiplier les légendes hagiographiques, les vies des saints, les recueils. Mais les ouvrages les plus caractéristiques de cette époque restent les guides qui prolifèrent, cherchant à conseiller le pèlerin et à faciliter sa tâche tout au long de son périple.

C’est ainsi qu’aux environs de l’année 1139 la compilation Liber Sancti Jacobi, appelée aussi Codex Calixtinus, dédiée à la gloire de l’apôtre, est un manuscrit dont l’original est conservé au chapitre de la cathédrale de Compostelle, comportant, dans sa forme la plus complète, cinq parties ou livres :

Livre I. Anthologie de pièces liturgiques et de sermons en l’honneur de saint Jacques.

Livre II. Recueil de miracles obtenus par l’intercession de l’apôtre, notamment au XIIè siècle.

Livre III. Livre de la Translation qui raconte l’évangélisation de l’Espagne par Jacques, le martyre de l’apôtre et la légende de la translation de son corps en Galice.

Livre IV. Histoire de Charlemagne et de Roland par l’évêque Turpin.

Livre V. C’est le guide à l’usage des pèlerins, destiné à donner des conseils pratiques pour leur pieux voyage, à leur indiquer les sanctuaires où ils doivent s’arrêter pour vénérer les reliques des saints et enfin à leur faire admirer dans tous ses détails la cathédrale élevée à la gloire de l’apôtre.

 

Ce Livre V, le Guide du pèlerin de Saint-Jacques-de-Compostelle, destiné à intensifier le mouvement de pèlerinage vers Compostelle, présente un grand intérêt au point de vue de la littérature, éclairant également l’histoire de l’art et l’icônographie du Moyen Age et offrant de multiples informations de la géographie humaine, de la topographie, de l’histoire de la civilisation.

A travers ce Guide, les chemins empruntés par les pèlerins sont assez faciles à reconstituer, non seulement grâce aux monuments qui les jalonnent, mais encore par les nombreux récits de voyageurs qui nous sont parvenus. Chaque chemin possède ses étapes pieuses, ses monuments, ses nombreux lieux ou reposent les corps des saints et ses reliques à vénérer. Relativement simples en Espagne, les grands itinéraires forment en France un réseau serré et complexe, notamment en Languedoc et en Gascogne. Mais les pèlerins ne sont pas obligés de suivre tel ou tel chemin. Sûrs de rencontrer de nombreux hospices, couvents ou auberges pour les accueillir, ils peuvent sans inconvénient passer d’une route à l’autre et satisfaire une curiosité ou une dévotion particulière.

Si les pèlerins viennent de différents pays d’Europe, ils finissent par emprunter les chemins suggérés par le Guide.

 

A partir de la ville d’Ostabat, où se rejoignent les quatre chemins, le pèlerin traverse le Pays basque pour effectuer la traversée des Pyrénées, passer par Roncevaux pour redescendre sur Pampelune et parvenir à Puente la Reina ville dans laquelle se réunissent tous les chemins pour n’en former qu’un seul qui est nommé le " camino francés ". De là, on traverse Estella vers la Rioja, la Castille, le Leon et enfin la Galice pour parvenir au but, la ville de Compostelle où se trouvent les saintes reliques de saint Jacques.

Avant d’entrer dans la cité, on se lave au ruisseau. On prie pour ceux qui sont morts en route. Un groupe de clercs sort de la ville pour accueillir les nouveaux arrivés. Au pied du monument, une foule bruyante s’interpelle, mange, pleure, dort, prie, se confesse. Leur âme est sauvée. Le corps du saint est enfoui sous le maître-autel. Les pèlerins embrassent la statuette d’or qui le représente puis vont communier. Ils obtiennent ainsi un " certificat de voyage et de communion ".

Après quelques jours de repos, il faudra marcher le chemin de retour.

Incidences du pèlerinage sur la vie économique et sur les arts.

Les reliques sont un enjeu majeur pour les communautés religieuses. A l’origine d’une production artistique importante, les reliques constituent un véritable moyen de financement pour la vie des communautés religieuses. Elles peuvent parfois même voyager afin de recueillir les fonds nécessaires aux travaux de construction ou de décor des églises. Ces quêtes itinérantes ont largement contribué au développement du culte et au goût des pèlerinages. Dans le même temps, des architectures particulières doivent répondre rapidement à l’afflux des fidèles et à la protection des reliques.

Les dispositifs architecturaux sont particulièrement conçus de telle sorte que les pèlerins puissent circuler aisément et afin de magnifier les reliques et les châsses qui les abritent en les plaçant dans une position élevée, permettant ainsi aux nombreux fidèles de les voir, même des points les plus éloignés de l’édifice.

Les ateliers d’orfèvres, qui élaborent les trésors des églises et qui fournissent les principales activités artistiques à l’époque romane, vivent essentiellement du culte des reliques. Celui-ci contribue à l’enrichissement matériel des édifices religieux, à la fois par les dons prestigieux (princes, rois, marchands, etc.) et les offrandes des pèlerins.

Le travail des orfèvres inspire les tailleurs de pierre et les incite à sculpter la pierre, et c’est ainsi que l’on voit les tympans, les chapitaux et les piliers s’orner de tableaux de pierre relatant les moments les plus marquants de l’Ancien et du Nouveau Testament, instruisant au passage le peuple des fidèles croyants en les entretenant dans la foi religieuse. Les bandes dessinées étaient inventées.

A la fin du XIè siècle et au XIIè siècle, la route de Saint-Jacques a été prétexte à un déploiement architectural de tout premier ordre, affirmant l’art roman dans la plénitude de sa maturité. La soif de construction, liée à la puissante foi qui anime le pèlerinage, fera des monastères, abbatiales et collégiales qui jalonnent le chemin des pèlerins, de purs joyaux de l’architecture romane, rehaussés par tout l’éclat de la nouvelle sculpture qui envahit les façades et les cloîtres.

La basilique de pèlerinage apparaît comme une des plus grandes réussites de l’architecture romane.

Le chemin de Saint-Jacques devient un chemin " monumental ". La voûte romane apparaît et va se développer dans tout l’occident. Plus tard va naître la voûte gothique et son aboutissement dans les grandes cathédrales.

En quelques siècles, les monuments que nous connaissons aujourd’hui, ont été édifiés, quelques uns reconstruits et agrandis plusieurs fois.

C’est le peuple qui a permis ces constructions, par sa ferveur et son argent. En effet, l’argent vient toujours du peuple, directement ou indirectement, par ses offrandes et les aumônes, les dons ou les legs. Encore faut-il disposer de constructeurs et d’artisans capables d’édifier et d’orner ces monuments qui ont défié le temps.

L’école de formation professionnelle du Moyen Age est le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle. En tant qu’itinéraire de développement personnel, seul le chemin initiatique a permis à ces hommes de passer du stade d’ouvriers au stade d’oeuvrier, de devenir des compagnons. On peut lire, à ce sujet, le livre de Henri Vincenot : " Les étoiles de Compostelle ".

Voici une anecdote : " Sur le chantier d’une cathédrale, trois maçons sont interrogés sur ce qu’ils font. Le premier répond : je gâche du mortier. Le second : je gagne ma vie. Et le troisième : je construis une cathédrale. "

Au cours des siècles, certains de ces pèlerins vont rester, s’installer à l’une de leurs étapes et vont participer à la colonisation d’une région, à l’accroissement démographique, au développement économique de ces cités traversées par le chemin, apportant leur savoir-faire, leur sens des affaires, leur dévouement.

Aujourd’hui, le pèlerinage est un outil de développement local. Par exemple, de même que 1993, l’année 1999 est déclarée année jacquaire, puisque le 25 juillet jour de la saint Jacques est un dimanche. Par voie de conséquence, pour cette année 1999, il est attendu 2 millions de pèlerins sur le chemin et donc à Compostelle.

 

Naissance de l’Europe.

Le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle est étroitement lié au devenir de l’Occident chrétien et le concept ecclésial et spirituel du pèlerinage/voyage religieux se forme et se concrétise jusqu’à l’existence d’une identité européenne.

Matthieu 2, 1 " Or, après que Jésus fut né à Bethléem de Judée, aux jours du roi Hérode, voici, des mages de l’orient arrivèrent à Jérusalem... "

Ce n’est qu’à partir du XVIè siècle que le terme d’Occident prend un sens spatial puis avec le romantisme, un sens culturel et religieux.

La tentative de Charlemagne (742 - 814) de transformer l’Occident en une monarchie teintée de théocratie qui unifierait les intérêts de l’empire et de l’Eglise était certes une anticipation conforme à sa personnalité, mais le développement normal de ces Etats n’allait pas vers une formation étatique globale. Aux IXè et Xè siècles, la disparition des ordres anciens, l’évolution des nouveaux systèmes de gouvernement, la perte de substance des puissances traditionnelles de cette époque et l’arrivée des peuplades étrangères (Normands,Sarrazins, Hongrois) conduisirent à une vacuité qui ne laissait qu’une seule issue aux hommes de ce temps : l’orientation vers l’Eglise comme élément stable, vers Dieu comme élément éternel. Le besoin de normes, de sécurité quotidienne reconnaissable, de croyance en une autorité accessible et juste, ne pouvait être satisfait que métaphysiquement : par la religion et par l’Eglise. Le culte des saints et des reliques prit des proportions jamais atteintes jusque là en Occident; l’orientation des masses vers Dieu n’a jamais été aussi considérable. C’est dans le culte des saints et les formes de vie communautaire que l’Occident chrétien commence, au Moyen Age, à se réaliser.

On ne devrait pas céder à l’illusion que l’Occident aurait déjà possédé à l’époque un caractère homogène et aurait été christianisé dans son ensemble. Les hommes d’alors étaient certes chrétiens, ou convertis au christianisme jusqu’aux régions du nord et de l’est, mais on ne peut se défendre de l’impression que toute la société de l’époque carolingienne vivait sous un mince vernis de christianisme qui suffisait sans doute à peine à recouvrir le paganisme et la pensée magique. La crédulité teintée de superstition du peuple paraît d’autant plus compréhensible que le niveau intellectuel et la formation des prêtres étaient largement insuffisants ; beaucoup de religieux ne connaissaient même pas le Notre Père.

Ce n’est qu’à ce moment de l’histoire que l’Occident chrétien sort de sa minorité et se dresse sur ses propres jambes , maintenant seulement que le pèlerinage vers les contrées de Saint-Jacques peut réaliser sa dimension européenne. Comme toute haute culture dépendante de cultures antérieures, la culture occidentale se présente comme la symbiose de deux éléments : celui de l’Antiquité tardive et celui de la culture celtique/germanique ; c’est à dire une haute culture d’une part, et une culture primitive d’autre part.

L’époque de l’homogénéisation de la culture chrétienne en Occident va de pair avec l’européenisation du pèlerinage au tombeau de l’apôtre Jacques à Compostellee, qui est la concrétisation et l’extension de l’histoire chrétienne du Salut à la dimension européenne.

L’Europe, en tant que société et culture nouvelles, était née.